De l'écologie à la morale de l'histoire :
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Richard Brautigan |
Un peu comme Jack Kerouac où Raymond Carver, Richard Brautigan est un écrivain flanqué d'une légende sombre.
Il a toujours eu des lecteurs fanatiques, un peu à la marge, saisis par ses travaux littéraires inclassables et impossibles à résumer depuis deux décennies que Brautigan s'est donné la mort, à moins de 50 ans.
San Fransisco s'éveille, la beat génération a vieilli, Allen Ginsberg, Timothy Leary, John Cunningham Lilly... Les années 70 fleurissaient et tout le monde se passaient le mot, il fallait absolument lire "La pêche à la truite en Amérique", un recueil qui a accompagné six autres textes de Brautigan dont "Sucre de pastèque", un roman post-apocalyptique, situé au lendemain d'une civilisation déchue. Il se concentre sur une commune organisée autour d'une maison centrale de rassemblement qui est appelée iDEATH. Dans cet environnement, beaucoup de choses sont faites à partir de sucre de pastèque, bien que les habitants utilisent également le bois de pin et la pierre pour les matériaux de construction et un combustible à base d'huile de truite.
La pêche à la truite en Amérique, extrait :
"Une après-midi de printemps alors que j'étais enfants dans la ville bizarre de Portland, je suis descendu jusqu'au carrefour et j'ai vu une rangée de vieilles maisons blottis sur un rocher. Et puis il y avait un champ tout en longueur qui descend la pente d'une colline, un champ couvert d'herbe verte et de buisson. Au sommet de la colline, il y avait un bois de grands arbres sombre. De loin, j'ai vu une cascade qui dégringolait la colline, elle était longue et blanche et je sentais presque le froid de son écume. Il doit y avoir un ruisseau là-bas me dis-je, sans doute avec de la truite dedans, de la truite."
En lisant Brautigan, il ne faut pas rechercher une intrigue au sens propre ou une performance quelconque et encore moins la prise d'une truite record, mais plutôt une succession de moments intenses et d'impressions inattendues, des sensations intimes comme celle fournie par la reproduction de la couverture 10/18 d'origine de cette balade en 1967.
Brautigan c'est une promenade, une heure longue, de temps en temps, partir à la pêche à la truite sans empressement. Pour cela, il consulte des traités de pêche à l'ancienne en se demandant comment éviter de faire du mal aux poissons. Un écolo qui croise un éleveur de puces qui songe les dresser et ouvrir un cirque. Tout cela est un peu gratuit, mais offre la possibilité de pénétrer au fond d'un intense sentiment de solitude.
Au fil des pages, on rencontre des tigres qui excellents en arithmétique, des cutthroats vigoureuses, chaleureuses, grassouillettes et toujours de bons conseils. Alors que poireaux, carottes et rutabagas ont leurs statues qui s'élèvent en place publique.
Si la cocasserie de celui qui traversa la littérature américaine à la vitesse supersonique, passant d'un camping ultra moderne de l'Idaho à la Rome antique avec une aisance et une douceur qui, sous une enveloppe sauvage et naïve, ne déroule rien d'autre qu'une profonde métaphysique de la tendresse paradoxale en nous dévoilant, par là même, que l'homme et un loup pour l'homme et nous impose un spectacle cynique où les chats jouent avec leurs proies parce qu'ils n'ont pas appris à tuer.
Pourquoi j'aime les chats ?
Je sais pas vraiment
Mais je pense que c'est pour la même raison
Que j'aime l'aube
Et le lever du soleil
Et la tombée de la pluie."
Richard Brautigan
Il n'est pas facile de vivre dans ce monde, c'est comme vivre dans un appartement de trente cinq mètres carrés avec un gosse qui joue de la batterie.
Un jour, probablement tard le soir, à l'heure du coucher, quand les rêveurs babyloniens s'apprêtent à nous glisser leur instigations au creux de l'oreille, une voix différente sera doublée et s'élèvera, universelle. Ce sera une voix noble et éloquente, dénonçant l'inhumanité de l'homme envers l'homme en termes non équivoques.
"Objectivité ne signifie pas impartialité mais universalité"
Raymond Aron